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Vingt ans pour affaiblir les syndicats médicauxEn 1995, le ministre Colla veut réformer l'AR78 pour en retirer les pouvoirs donnés aux syndicats médicaux concernant la participation aux décisions sur la profession médicale. L'Absym gagne le bras de fer et la loi impose au contraire la concertation dans des situations supplémentaires. Colla décide alors d'affaiblir la représentativité de l'Absym. Il invite dans son cabinet le 15 décembre 1995 le SVH (généralistes flamands), le GBO et l'Algemeen syndikaat (jdM du 19 décembre 1995) qui s'y constituent en cartel pour faire pièce à l'Absym. Colla crée les élections qui doivent diviser et affaiblir les médecins, L'Inami devant désormais répartir les sièges des organes de concertation et financer les syndicats reconnus au prorata du résultat des élections, ces organisations sont intégrées dans le système. Mais 26.000 des 32.000 médecins votent aux élections de 1998 et confirment la majorité absolue de l'Absym. A première vue, Colla a échoué. Mais la partie n'est pas terminée.Vingt ans après, le paysage professionnel est bouleversé. Bien sûr, malgré la survenance d'un troisième syndicat, l'AADM, l'Absym est toujours en tête. 84% des 6.754 spécialistes et assistants votants l'ont plébiscité. Mais Il y a un bémol : à peine 21,6% des spécialistes inscrits ont voté et de ce fait l'Absym n'a donc recueilli que les suffrages de 18 % du total des spécialistes. Qu'importe, elle s'affirme incontestablement comme leader des spécialistes, grâce à un accord avec le GBS qui entraîne la double appartenance pour les désignations aux sièges Inami attribués à l'Absym. La ministre De Block ne s'y est d'ailleurs pas trompée en exigeant que la représentation Absym dans les négociations sur le bouleversement des hôpitaux comporte un délégué reconnu du GBS. Les fonctions du Dr Moens dans les deux associations ont rencontré cette exigence. Les pouvoirs publics n'ont donc pas d'interlocuteur de rechange crédible parmi les spécialistes.La situation est tout autre sur le plan des généralistes : il y a trois syndicats importants, représentant ensemble près de 30 % du total des généralistes. Ici, c'est le GBO (Cartel) qui fait figure de leader, mais devant composer sur pied d'égalité avec ses deux concurrents. L'Absym n'a cessé de perdre du terrain chez les généralistes. De 40% des voix émises en 1998 (4.700 généralistes), sa représentativité est tombée à 24% des voix en 2014 et 25% en 2018. Et par le fait de la diminution des votants, ces 25% de voix représentent encore 1.325 généralistes sur un total de 5.385 voix émises mais pour un total de 19.550 généralistes inscrits. Le GBO a engrangé 40% des voix mais même en ajoutant les 35% de l'AADM, cela signifie que plus de 72% de généralistes se désintéressent de l'action de tous les syndicats.Ce n'est pas seulement l'emprise de l'Absym sur la profession mais celle de tous les syndicats médicaux qui est ainsi questionnée. L'abstention massive ne soulève pas qu'un problème politique de représentativité. Elle soulève des questions sur la capacité des syndicats médicaux à encore mobiliser le corps médical pour remplir sa mission démocratique de contre-pouvoir défendant les moyens attribués un secteur, non pas seulement dans l'intérêt des travailleurs mais aussi ceux des patients. Le désintérêt du corps médical pour cet élément d'équilibre est une mauvaise nouvelle. Plus que dans des élections, la véritable représentativité réside dans la capacité à influencer le système régissant un secteur en tant que garante de l'adhésion de ses acteurs. Tout le système actuel basé sur la concertation pourrait se dégrader au profit d'un régime dans lequel les moyens et la qualité des soins dépendent de l'estimation des seuls pouvoirs publics : besoin de bombardiers pouvant porter la bombe atomique (pour attaquer la Russie) ou bien d'hôpitaux, une heure de vol du F35 coûtant le salaire annuel d'un assistant ? Mais Lockheed a une grande réputation en matière de retombées.L'abstention massive des électeurs donne l'impression d'une rupture entre les travailleurs et leurs représentants. Que se passe-t-il ? Les raisons sont sans doute multiples. On se limitera à s'interroger sur la perception du besoin d'un syndicat que ressentiraient ou perdraient les médecins.On peut interpréter l'abstention de deux façons diamétralement opposées.Les médecins ne votent pas parce qu'ils ont une confiance absolue dans leurs représentants. Satisfaits des résultats obtenus et de leurs conditions d'exercice, ils ne croient pas utile de s'impliquer, et donnent un mandat en blanc à leurs porte-paroles.Dans un sens contraire, on peut se demander si les médecins jugent inutile un choix entre des syndicats jugés tous impuissants à les protéger ou même à simplement garder ce qui est accordé à tous les travailleurs, l'index. Pour sauver le système, les syndicats ont remplacé la confrontation, réduite aux menaces rituelles de dénoncer ou refuser l'accord, par la collaboration. Ils participent étroitement à l'exécution de réformes étudiées sans eux et décidées sans eux. Ils s'efforcent d'éviter le pire, mais dans ce rôle, de plus en plus technocratique et politique, les dirigeants sont exposés à partager l'image désastreuse des politiciens avec le corollaire du scepticisme et de la méfiance qui y sont liés. Une rupture entre la base et les dirigeants ne peut être évitée que par une écoute mutuelle et par une communication éclairée. Facile à dire, difficile en réalité. D'abord la matière à appréhender est complexe et les médecins, surchargés par ailleurs, peu enclins à consacrer leur temps libre à cette étude rébarbative. Il s'y ajoute la stratégie de la ministre. Elle limite ses interlocuteurs à deux ou trois initiés par syndicat, tous considérés sur pied d'égalité parce que ce n'est pas l'importance de leurs représentativités respectives qu'elle prend en considération mais leur place politique. L'AADM crédité du vote de 200 spécialistes maximum aura pour elle le même poids, voire plus, que l'Absym dans la réforme des hôpitaux. En réduisant le nombre de négociateurs, la ministre verrouille la diffusion des informations à la base et même à la plupart des dirigeants exclus des discussions. Elle réalise le rêve des politiques : la ministre trouve des experts plus que des représentants dotés d'une capacité de pression et réduits aux seuls atouts de leur expérience et connaissances. C'est l'objectif de la subsidiation qui diminue la dépendance de ces leaders vis-à-vis de cotisations de mandants.Est-ce l'ignorance des dangers qui entraînerait le désintérêt constaté parmi les médecins ? L'affiliation et l'adhésion à un syndicat répondent à la conscience d'un besoin et à l'acceptation de sacrifices dans l'intérêt collectif et l'espoir d'amélioration de l'avenir. Les menaces qui pourraient nécessiter la réaction d'un syndicat fort se sont multipliées. Il y a d'abord la réforme des hôpitaux conçue pour susciter les conflits et la concurrence entre praticiens, exposés aux attributions ou marginalisations de services et équipements et au partage des honoraires. Il y a aussi le projet d'une révision de l'AR78 qui a été présenté par madame De Block. Il conditionnerait l'exercice de la profession à une licence valable seulement cinq ans renouvelable, à terme sous conditions et, pouvant être retirée à tout moment en cas d'évaluation négative sur la qualité du prestataire par l'inspecteur d'hygiène. Une perte d'accréditation peut menacer un poste ou une place en hôpital. Si elle devait entraîner la perte, non d'une place, mais du droit d'exercer un métier qui a coûté 9 à 12 voire 14 ans de formation et de considérables sacrifices financiers, Un tel danger pourrait secouer l'apathie des praticiens.Henri Anrys