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" Avec ce nouveau concept de santé positive, la santé ne se résume pas à la maladie ", présente Jean Hermesse secrétaire général de la Mutualité chrétienne (MC). Et de fait : les fonctions physiques, le bien-être mental, le sens (de la vie), la participation sociale, la qualité de vie et le fonctionnement au quotidien composent autant de dimensions dans ce concept de santé positive. C'est Machteld Huber, doctoresse et scientifique néerlandaise qui en a eu l'idée. " La définition de l'OMS de la santé est complètement dépassée ", estime-t-elle. Il est vrai que cette définition date de 1948.Si le concept fonctionne aux Pays-Bas, la Belgique est-elle un terreau fertile à cette vision holistique de la santé ? C'est la question qu'a tenu à poser la MC à plus de 8.600 de ses membres. La réponse est sans appel : c'est un grand oui. " 93% des répondants estiment par exemple que la qualité de vie a un impact sur la santé ", commenteJean Hermesse. " La participation à la société est également importante. La solitude est un des facteurs de maladie, notamment de dépression. Le quotidien est également visé (le logement, l'argent). Tous ces aspects ont un lien avec la santé pour la grande majorité des répondants. "L'activité professionnelle, le niveau de la formation, et l'âge ont une influence sur les réponses. " Les jeunes mettent en évidence les plaintes liées à la douleur physique, au sommeil. Les personnes âgées, quant à elles, se posent la question de leur utilité, et questionnent plus le sens de la vie. Avec l'âge, le bien-être mental, la qualité de la vie et la participation à la société sont des composantes de plus en plus importantes. "Au niveau de la formation, si l'enquête néerlandaise s'est attardée tant au patient qu'au prestataire de soin, ce n'est pas le cas de cette enquête Belge. " Nous nous sommes surtout focalisés sur les citoyens et les patients ", justifie Jean Hermesse.Pourtant, les personnes ayant un niveau de formation élevé estiment d'avantage que la santé est liée à la fonction physique, tandis que si le niveau de formation est plus faible, d'autres composantes entrent en jeu. " C'est important, car cela veut dire que la manière dont est conduite la santé, par des universitaires, est une autre approche si l'on interroge le patient lambda. C'est l'une des raisons pour laquelle la santé a pu être vue différemment, en partant du patient ", commente le secrétaire général de la MC.Par contre, cette façon de voir la santé au nord comme au sud est la même. " On voit qu'il y a une grande réceptivité à ce concept de santé positive, quelles que soient les caractéristiques des patients. Il y a une attente de la population par rapport à une nouvelle définition de la santé qui ne serait pas liée qu'aux seuls critères physiques ", conclut Jean Hermesse.La question est posée par le Dr Thomas Orban, président de la Société scientifique de médecine générale (SSMG). Le concept a-t-il un sens dans la pratique médicale ? " Nos réactions étaient doubles ", réagit le Dr Orban. " D'une part, nous étions très intéressés par ce concept, parce qu'effectivement, c'est une vision assez globale et pertinente de la médecine générale, avec une vision holistique du patient. D'un autre côté, est-ce qu'on ne réinvente pas la roue ? Est-ce que c'est un outil ou une vision de la société ? On voit dans la pratique que cela pose quelques questions. "Justement, dans la pratique, le généraliste utilise ce schéma de santé positive depuis plusieurs semaines maintenant. " C'est un outil extrêmement intéressant, parce que, si techniquement, on pense faire les choses, on se rend compte qu'on ne les fait pas toujours. Quelques exemples frappants : j'ai une double casquette de généraliste et d'alcoologue, et je me suis rendu compte que certains patients que j'estimais en très mauvaise santé se sentaient, eux, en bonne santé. Ce qui changeait mon regard sur ma façon de travailler avec eux pour me positionner de manière plus juste. À l'inverse, j'ai eu un patient où je constatais un ou deux problèmes de santé, mais pas d'avantage ; et grâce à cet outil, je me suis rendu compte que c'était un patient suicidaire, pas loin de passer à l'acte. Ce qui change également ma position. "Cette nouvelle manière d'aborder le duo médecin-patient pose également des questions. " On peut rencontrer des patients qui s'évaluent assez mal dans certaines dimensions de leur santé, mais quand on leur demande ce qu'ils voudraient changer, ils ne savent pas répondre. On se retrouve devant une difficulté communicationnelle. On essaye de donner le lead au patient, mais cela ne vient pas. On ne voit pas encore très bien comment gérer ces situations. Cela pose aussi une question en termes de projet de société parce qu'on ouvre des situations où améliorer la santé, ce n'est pas du médical, c'est du sociétal. Est-ce qu'il ne serait pas temps d'ouvrir des pôles de santé locaux pour pouvoir envoyer les patients qui y trouveront des ressources des soins à la fois médicaux et sociétaux? Tout cela, ce n'est pas mon rôle. J'ai été formé d'abord et avant tout pour réaliser des diagnostics. Mais je dois pouvoir réorienter ces patients. Et aujourd'hui, je me sens démuni. Je n'ai pas de filet de sécurité suffisamment large, qui me semble nécessaire, pour pouvoir appliquer l'outil. "Laurent Zanella