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L'incapacité de travail de longue durée est un fléau désormais connu. Selon les chiffres rassemblés par Jean-Michel Kupper, administrateur-directeur AG employee benefits & HealthCare, elle touchait, en 2016, 381.000 travailleurs à comparer avec les 542.000 chômeurs indemnisés (contre 216.000 vs 727.000 en 2006). Une augmentation de... 104% dont 68% chez les ouvriers (lire graphique). Chaque jour de 2016, 7 employés sur 100 étaient absents pour maladie (contre 4 en 2001). Ils étaient 3,11% de malades de plus d'un an en 2016 contre 1% en 2001. Les malades de moins d'un mois sont passés respectivement de 1,77 à 2,13%, les malades entre un mois et un an de 1,33 à 2,02%. Plus de la moitié ont des troubles psychiques et ostéoarticulaires. Selon des chiffres d'Idewe, le plus gros service externe de prévention des maladies au travail, les plaintes psychosociales au travail sont liées d'abord aux conflits entre personnes (40%), au harcèlement (18%), à la pression au travail (12,5%) et au burnout (8%).A côté de ces quelque 380.000 malades de longue durée, il faut déplorer 450.000 cas de maladies de courte durée qui cumuleront un, deux ou trois arrêts maladie sur l'année, constate François Perl, directeur général du Service indemnités de l'Inami. 80% de ces travailleurs retourneront au travail sans problème. Accidents du travail, maladies professionnelles et autre handicap dépassent donc le poids du chômage dans le budget de la sécu. "On se dirige depuis quelques années vers l'anti-Polder model (à savoir, que les Pays-Bas cumulent un taux de chômage très bas, de 4% avec un million de personnes en incapacité de longue durée selon le principe des vases communiquants). C'est donc bien le taux d'activité qui est le critère valable et pas le taux de chômage. Sa baisse ayant des répercussions sur les régimes 'résiduaires', CPAS et maladies..."Nonobstant, l'aggravation des maladies de longue durée est un phénomène mondial dans le monde développé. Avec 15.000 malades de longue durée dépendant de la collectivité qui se sont ajoutés chaque année depuis dix ans, la Belgique ne fait que rattraper la moyenne des pays de l'OCDE. Cette évolution a aussi des causes non mécaniques provoquées par la mutation du monde du travail. Il y a 40 ans, on stoppait sa carrière définitivement pour des pathologies cardiaques ou des cancers. Dans le monde ouvrier, les accidents du travail étaient beaucoup plus nombreux. Les maladies professionnelles ont diminué parce que les professions à risque sont moins nombreuses. Aujourd'hui, un accident cardiaque modéré éloigne le travailleur 12 semaines tout au plus. L'augmentation de la qualité de la médecine a permis de favoriser le retour au travail.Quant au poids des maladies psychiques dans l'invalidité, il s'explique par le fait que la dépression touche 100 millions de gens dans le monde, et son avatar le burnout est sur toutes les bouches. "Concernant les pathologies lourdes, la Belgique a pris beaucoup de retard dans la gestion du retour au travail par rapport à l'Allemagne et au Canada qui ont une longeur d'avance quant au retour partiel d'activité et aux accords entre employeurs et travailleurs", souligne Perl. "Un changement de paradigme a été nécessaire en Belgique pour arriver à proposer un 'mi-temps médical', soit quelques heures de reprise de travail éventuellement au domicile, désormais sans l'accord du médecin conseil. Le travailleur conserve une indemnité plafonnée et son salaire. Il est donc plus intéressant de faire une reprise partielle d'activité pour conserver le lien travailleur/employeur."Pour ne pas réinventer la roue, l'Inami collabore avec les acteurs du chômage (Forem, Actiris, VDAB : 10.000 dossiers en 2017 contre... 0 en 2011) et implique le médecin conseil et le médecin du travail. Grâce au nouvel AR, l'employeur est plus impliqué, ce qui devrait augmenter drastiquement le taux de retour au travail.Il y a toutefois une barrière incompressible : la maladie elle-même et l'âge. Le taux d'emploi des travailleurs âgés en Belgique est faible.Les prévisions sont toutefois bonnes. Depuis 2015, il y a stagnation de l'invalidité, sans doute aussi parce qu'un travailleur ne peut espérer que maximum 60% de son salaire contre 80% dans les pays scandinaves. Aucun travailleur belge n'a réellement intérêt à rester en incapacité. On constate donc un taux assez bas de fraudeurs sociaux lesquels seraient poursuivis sans relâche.Mais il faut lever quelques tabous : "Le mot 'activation' ne devrait pas entraîner une telle levée de boucliers, souligne Perl. La 'responsabilisation' des acteurs n'est pas un mot honteux et l'employeur doit prendre ses responsabilités."Le nouvel AR permet une franche et prometteuse multidisciplinarité entre les trois médecins (traitant, conseil et du travail). Le changement de paradigme, c'est donc aussi l'avènement du "triangle magique" médical avec l'ajout du médecin traitant à l'origine de l'incapacité. Ce dernier, contrairement à la vulgate, émet des certificats plutôt trop courts que trop longs, et les prolonge de semaine en semaine de peur d'être considéré comme outliner. Seuls 3% des médecins traitants prescrivent des éloignements de 6 mois lors d'une seule consultation. L'Inami collabore également avec l'Odre des médecins. Le médecin doit désormais indiquer une date de retour au travail et un diagnostic. Mais le problème est la pénurie médicale : seulement 270 médecins pour traiter 700.000 messages médicaux qui arrivent à l'Inami chaque année. Enfin, s'inspirant du Canada et de l'Asie, l'Inami a acheté la licence pour engager des "disability managers" chargés de coacher patients de longue durée et thérapeutes. "Il faut un nouveau modèle de 'réhabilitation' qui dépasse la simple médecine et qui mette en relation dans le respect des datas médicaux le médecin, l'assureur (médecin conseil), les agents préventifs de réintégration professionnelle : un concept holistique de bonne indemnisation pour la bonne personne."1Turner JA, et al.Spine. 2006 Mar 15;31(6):682-9.