...

"J'estime que ces projets sont nécessaires, même si mon avis est sans doute biaisé", prévient d'emblée Jean-Luc Belche, médecin généraliste à Liège prenant part au projet Rélian. Pourquoi biaisé? D'un part, parce qu' "à Liège, des recherches de terrain ont déjà pu être menées et ont porté leurs fruits. Je pense notamment au projet Sylos (système local de santé)." D'autre part, l'hospitalocentrisme et la fragmentation des lignes de soins n'ont plus de secret pour le récent titulaire d'un doctorat en médecine générale qui a travaillé des années sur la question d'intégration (voir jdM du 23 septembre 2016 pour plus d'informations)."À Liège, le terrain est donc plutôt favorable, à la lumière des précédentes expériences réussies", développe le docteur. "À Namur, à l'inverse, le terrain manque d'une première expérience de type Sylos. On constate dès lors une difficulté à construire ensemble puisque les acteurs ne se connaissent pas et se réfugient derrière leurs a priori." Pour l'expert, c'est une première étape normale. "On aiguise d'abord les couteaux, mais au fur et à mesure du temps, les lames s'émoussent.""Les projets pilotes sont critiquables, entendons-nous bien", tempère le Dr Belche. Premier élément de critique: la temporalité."Le délai qui nous est imparti pour se voir, diminuer les résistances et être productifs est trop court. Surtout dans les endroits où il n'y a pas eu ce premier contact entre les différents acteurs, salutaire pour s'affranchir de certaines barrières."Deuxième élément de critique: le financement. "En termes de gouvernance et de leadership, on constate une asymétrie entre l'hôpital et le domicile (soit la médecine générale, ndlr). Les cercles n'ont pas assez de pouvoir et les généralistes, de leur côté, ne sont peut-être pas prêts à lâcher du lest au niveau de leur autonomie pour accepter des cercles plus puissants et jouant pleinement leur rôle représentatif." Entre autres, les cercles devraient avoir les moyens de rémunérer les médecins participant à des concertations, ce qui n'est pas le cas actuellement.Les concertations constituent d'ailleurs un troisième élément critique. "Elles se multiplient, et le médecin généraliste est de plus en plus sollicité. Évidemment, ces réunions prennent du temps, et le temps, c'est de l'argent. Surtout pour le généraliste pratiquant en solitaire qui pâtira bien plus qu'une pratique de groupe et a fortiori que l'hôpital de ce manque à gagner."Quatrièmement, enfin, le flou concernant la loi assurance maladie invalidité (AMI), le remboursement et le rôle des coaches. "Je suis critique vis-à-vis de leur rôle", répond le médecin liégeois. "On ne connaît pas réellement leur utilité." Par rapport à la loi AMI et au remboursement, "il est vrai que c'est nébuleux", concède le Dr Belche. "Est-ce que l'Inami a quelque chose derrière la tête? Est-ce que nous nous dirigeons vers des agences régionales de santé comme en France, vers une décentralisation par province? Jusqu'où aller? Je ne sais pas. Mais le Fédéral doit agir pour être plus précis. Nous devrions par exemple justement avoir un coaching sur ces aspects financiers. C'est important.""On peut être de bonne volonté, mais c'est complexe", conclut au sujet des griefs, le docteur en médecine générale. Est-il pour autant pessimiste sur l'avancée des projets pilotes? Non, loin s'en faut. "Je comprends tous ces problèmes, mais il ne faut pas abandonner",assure l'intéressé."Pour que ces projets fonctionnent, il faut mettre de l'argent sur la table pour alimenter la pompe", assure derechef Jean-Luc Belche. Pour l'homme, il faut rémunérer les praticiens qui travaillent dans ces projets. "Le coût pour un généraliste ou pour un hôpital n'est évidemment pas le même. Une des solutions émane des cercles, qui pourraient augmenter les cotisations afin de rémunérer les parties prenantes aux projets pilotes." Le politique a également un rôle à jouer, notamment pour diminuer les craintes des praticiens, "un processus normal",assure le Dr Belche. Car le médecin reste positif, grâce à l'expérience liégeoise. "Nous avons amené les médecins à se bouger, et les choses changent. Je suis résolument positif: les rails sur lesquels sont posés les projets à Liège me motivent.""Il faut bien se dire que ces projets pilotes augurent des changements non pas pour la première ligne, mais davantage pour la seconde, qui devra réaliser une cure d'amaigrissement", insiste Jean-Luc Belche. "Cela doit rassurer la première ligne. L'hôpital également se plaint de cette situation."Enfin, le natif de Libramont insiste sur un dernier élément: "avant, on ne collaborait même pas entre généralistes. Mais grâce à ce genre de projets, il y a un avant et un après dans la collaboration entre praticiens. Chacun est amené à mieux se connaître. Grâce aux projets pilotes, la démarche de collaboration est initiée."Laurent Zanella