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Josiah Zayner ne veut plus qu'on l'appelle " scientifique " mais " biohacker ", un terme qui fait référence à ces individus qui tentent d'élargir les capacités de leurs corps en s'implantant des dispositifs électroniques ou en essayant de modifier leur génome. Bref, des manipulateurs du vivant.Diplômé de l'université de Chicago en biophysique moléculaire, cet Américain de 36 ans a débuté dans le laboratoire de Luciano Marraffini, un des pionniers du système CRISPR-Cas9 d'édition du génome, la nouvelle méthode qui permet de modifier les fonctions d'un gène en remplaçant une partie d'ADN par une autre.En poste à la Nasa pendant deux ans, Zayner a ensuite travaillé dans le cadre d'un programme de biologie synthétique qui utilise CRISPR pour mettre au point des bactéries capables de dégrader le plastique. En 2015, il a fait le bond de la recherche vers entrepreneuriat en lançant sa start-up, l'Open Discovery Institute (Odin). Sa particularité ? Elle commercialise des kits qui permettent de modifier soi-même son ADN, à domicile et sans assistance médicale.Josiah Zayner aime faire parler de lui. Héros audacieux, pour les uns, apprenti sorcier, pour les autres, il réalise des expériences toutes plus farfelues les unes que les autres. Il a notamment cherché à transformer une bactérie afin d'en changer la couleur, ou encore tenté de modifier une levure afin de faire de la bière fluo. Plus perturbant encore, en février 2016, il a avalé des gélules de matière fécale d'un ami pour régler ses problèmes gastriques.Et il raffole de chipoter à son génome. Par le passé, il s'est déjà injecté un système CRISPR censé doper les gènes produisant la tyrosinase, une enzyme nécessaire à la production de mélanine. Toutefois le résultat n'a pas été au rendez-vous. Cela aurait dû le faire bronzer mais il n'a rien vu.Qu'à cela ne tienne, Zayner a remis le couvert en octobre dernier. Il s'est injecté dans l'avant-bras une solution contenant la protéine Cas9 et un ARN guide ciblant le gène de la myostatine, une protéine qui inhibe la croissance des muscles chez un être humain.(*) Le but de la méthode est de supprimer ce gène et donc de voir si dans le membre en question les muscles vont se mettre à grossir plus que de raison et ressembler à ceux de Popeye." Pour la première fois de l'histoire, les humains ne sont plus esclaves de leur patrimoine génétique, " a clamé, triomphant, l'ancien scientifique de la Nasa, persuadé que, grâce au " scalpel génétique ", ses bras vont désormais doubler de volume et lui octroyer ainsi une force surhumaine. Toutefois, il n'y a rien de tel jusqu'à présent...Côté résultats, rien ne dit en effet que des gènes ont bien été supprimés dans certaines cellules, ni combien de cellules ont pu être affectées par l'injection et encore moins si la manoeuvre aura un quelconque retentissement physique.Fort de son assurance sans borne, Josiah Zayner, qui n'hésite pas à se présenter en " surhomme " depuis sa supposée prouesse, tente néanmoins de convaincre qu'il est à la portée de tous de modifier son propre ADN.Désireux de démocratiser la science et de rendre la génétique accessible au plus grand nombre, il n'a pas hésité à franchir un cap supplémentaire dans le " Do it yourself " (DIY) et donc, via l'Odin, il vend désormais des kits CRISPR pour un montant allant de 28 dollars (version basique) à 159 dollars (équipement complet). Chaque jour, une vingtaine de commandes sont expédiées d'Oakland en Californie vers des écoles, des clubs d'amateurs ou des " passionnés ", à travers tous les États-Unis.Josiah Zayner joue-t-il avec le feu ? Il a tout de même mis en ligne un guide pour les personnes qui aimeraient tenter l'expérience et aussi signaler sur son blog qu'il est conscient des risques liés à cette technique...Cet usage inédit de la technologie CRISPR rappelle que l'encadrement légal de ce nouvel outil tarde encore à venir, alors même qu'aux États-Unis, on commence pourtant à voir apparaître des " kits " d'ingénierie génétique en vente libre. Des " kits " qui ne font pas rire tout le monde.Jusqu'à présent l'enthousiasme effréné de Josiah Zayner n'a pas réussi à convaincre ses collègues du bien-fondé de sa démarche. De nombreux scientifiques et bioéthiciens affirment que de telles expériences sont trop approximatives pour obtenir des résultats significatifs, et que les dangers de l'auto-expérimentation l'emportent sur les bénéfices escomptés.Selon eux, la technologie " CRISPR " n'est pas précise à 100 % et le vrai risque est de modifier au passage un autre gène, voisin de celui que l'on veut atteindre, et de se retrouver avec une grave maladie par déficience du gène concerné ou même un cancer. Ils mettent aussi en garde les patients qui seraient tentés de recourir à ce type de procédé contre un possible risque infectieux lié aux injections et contre d'autres risques sanitaires.La mise en vente des fameux kits de thérapie génique " DIY " inquiète également les autorités fédérales et l'agence du médicament américaine. La FDA a d'ailleurs officiellement réagi et rappelé que toute utilisation de CRISPR sur l'être humain doit faire l'objet d'une approbation et que la commercialisation de tels kits est actuellement " hors la loi "...