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Les soignants présentent souvent des troubles du sommeil mais cette plainte reste sous-évaluée. Pour mesurer l'ampleur du problème, le Réseau Morphée a mis en ligne (du 3 janvier au 30 septembre 2017) un questionnaire d'évaluation accessible à tous avec un accès spécifique pour les soignants. Environ 13.000 personnes y ont répondu dont 882 soignants (82% étaient des femmes, âge moyen 41,6 ans, IMC moyen 24,8): 51% étaient infirmières et sages-femmes, 19% médecins, internes ou dentistes, 10% aides-soignants et 4% pharmaciens.Cette étude observationnelle montre que, les jours de travail, le temps de sommeil des soignants est plus court (6 h) que celui des non soignants (6,5h). Ils sont 60% à dormir moins de 6 heures en semaine contre 44,8% des non soignants (NS). Des horaires décalés sont plus fréquents chez les soignants (39% vs 26%) et ils sont liés à un travail posté dans 81% des cas. Près de la moitié des soignants (48%) pensent être privés de sommeil à cause de leur travail, notamment du travail posté. Ainsi, la privation de sommeil due au travail est plus fréquente chez les infirmières et les aides-soignantes soumises à ce type de rythmes. Quelles sont les conséquences sur la santé? La majorité des soignants se plaint d'insomnie: 62% ont un trouble d'endormissement, 80% un trouble de continuité du sommeil, 71% des éveils précoces et 67% un sommeil non-récupérateur. Ces troubles sont cependant aussi fréquents chez les soignants que chez les NS. 31% des soignants présentent ces quatre types de troubles et 64% souffrentd'une insomnie chronique avec retentissement diurne sur plus de 3 mois. Lepersonnel médical n'est pas épargné par les ronflements (27%), ni par la somnolence (32%), la fatigue diurne (80%) ou l'endormissement au volant (37%). "Les soignants qui ont eu un endormissement au volant sont plus somnolents, se plaignent plus de privation de sommeil, ont plus d'horaires décalés. De ce fait, ils présentent un risque accidentel au volant plus important. Chez ceux souffrant de troubles du sommeil (en dehors d'un ronflement), des symptômes de troubles anxieux et dépressifs sont souvent retrouvés", note le Réseau Morphée.Ajoutons encore que les soignants consomment un peu plus de café et moins d'alcool, fument moins et font plus de sport que les non soignants. Du côté de l'utilisation des écrans, le comportement des soignants et des NS est semblable, à ceci près que les premiers travaillent plus le soir chez eux."Les horaires (gardes, urgences...) sont bien sûr particuliers pour les soignants: si les paramédicaux ont des rythmes avec des périodes de récupération, cela n'existe pas pour les médecins, surtout les jeunes assistants. Mais c'est un problème éternel et la protection des travailleurs en général est meilleure aujourd'hui qu'il y a 50 ans", fait observer le Dr Daniel Neu, directeur du laboratoire du sommeil du CHU Brugmann et consultant à l'hôpital Delta-Chirec. "On sait comment il faudrait faire théoriquement, poursuit-il, on connaît la physiologie, les répercussions de la privation de sommeil sur la vigilance, sur les risques pour les patients... Mais ce n'est pas prêt de changer radicalement. Il y a plus d'une décennie que l'on a des données de chronobiologie et qu'on essaye de voir les médecins du travail pour proposer des horaires de travail posté en accord avec la biologie naturelle, malheureusement, cela butte toujours sur les contraintes soit économiques des entreprises privées, soit logistiques et de ressources humaines des entreprises publiques".Il est classique de voir des personnes travaillant de nuit depuis de nombreuses années ne plus arriver à récupérer. "Pourquoi? Parce que la flexibilité ou la souplesse de l'horloge biologique en terme d'adaptabilité aux changements de rythme s'atténue avec le temps. Les fonctions biologiques présentent aussi un phénomène de rigidification lié au vieillissement".Le Dr Neu pointe aussi la démultiplication des sollicitations périphériques au travail au chevet du patient, due entre autres à l'intrusion et à l'accessibilité permanentes via les outils connectés. "Ceci concerne bien sûr tout le monde et, chez certains, cela se traduit par une privation de sommeil supplémentaire. A l'instar de l'hypertrophie de la charge administrative par les outils électroniques: sous couvert d'une simplification, les soignants sont amenés à une démultiplication d'interactions électroniques permanentes".Enfin, comme le reste de la population, les soignants subissent les changements de comportement relatifs à la consommation de médias addictifs (réseaux sociaux, Netflix...). "Suis-je inquiet de cette tendance? Oui, parce que je suis bien placé pour savoir dans quelle mesure le sommeil est important pour le fonctionnement efficace du SNC, des fonctions supérieures et métaboliques. En quelques décennies, le temps moyen accordé au sommeil a diminué beaucoup plus vite que la capacité d'adaptation de l'espèce humaine...", conclut le somnologue. www.reseau-morphee.fr