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Tout médecin est une entreprise au sens du droit économique. Le législateur a en effet estimé que la distinction entre commerçant et non commerçant devait aujourd'hui disparaître au profit de la notion plus moderne et plus large d'entreprise. Le futur Livre XX du Code de droit économique considère que les titulaires de professions libérales réglementées (médecins, dentistes, kinés, vétérinaires, avocats, notaires, huissiers, comptables, réviseurs, architectes, etc.) sont des entreprises et qu'ils rentrent donc désormais dans le champ d'application du droit de l'insolvabilité, au même titre que les personnes physiques exerçant une activité commerciale en qualité d'indépendant ou que les sociétés à objet commercial.Quelle incidence concrète cela a-t-il pour les médecins ? Cela signifie trois choses.Premièrement, ils pourront être déclarés en faillite si le tribunal estime que les conditions sont réunies. Pour rappel, toute audience en matière de faillite est publique et le jugement de faillite est publié au Moniteur belge.Deuxièmement, préalablement à toute faillite, ils pourront également faire l'objet d'une convocation par la chambre d'enquête commerciale du tribunal de commerce si des indices de difficultés financières et économiques sont portés à la connaissance de la chambre d'enquête (par exemple : le non-paiement d'un trimestre de cotisations ONSS, TVA, précompte professionnel et Inasti). La procédure devant la chambre d'enquête commerciale est confidentielle.Troisièmement enfin, ils pourront solliciter et obtenir une procédure de réorganisation judiciaire (PRJ) leur permettant de se mettre sous la protection du tribunal de commerce à l'égard de leurs créanciers si des difficultés menacent leur continuité, c'est-à-dire essentiellement s'ils ne parviennent plus à faire face au paiement de leurs dettes. Il peut s'agir d'une PRJ par accord collectif, qui consiste à négocier un plan de remboursement avec l'ensemble des créanciers impayés et qui prévoit des délais de paiement et des réductions éventuelles de créances. Il peut également s'agir d'une PRJ par transfert sous autorité de justice qui est une alternative à la faillite et qui doit permettre, mieux que cette dernière, de sauvegarder les activités du titulaire de la profession libérale en vue de les céder à un repreneur.Nul besoin d'être alarmiste mais il convient d'être pleinement informé sur les conséquences et les avantages de cette future loi. Connaître une faillite n'est pas agréable, loin s'en faut, même si elle n'a plus le caractère infamant qui l'accompagnait dans le passé. La nouvelle loi permet surtout au tribunal de monitorer tout médecin qui peine à payer l'ensemble de ses créanciers.Imaginez que vous ayez dû contracter un financement important en vue d'acquérir du matériel médical coûteux et indispensable à votre activité. Si, comme cela peut arriver à tout médecin à un moment donné, les visites des patients se font plus rares et que vos recettes diminuent d'autant, le règlement des échéances mensuelles de votre financement peut accuser du retard. L'effet boule de neige est ensuite fréquent : afin de favoriser certains créanciers (souvent les fournisseurs incontournables), on en laisse d'autres sur le bord de la route en espérant qu'ils voudront bien patienter. Si la pression des créanciers devient (ou risque de devenir) inconfortable, la nouvelle loi permettra au médecin de solliciter la protection du tribunal afin d'éviter toute initiative désagréable d'un créancier impayée (saisie, etc.) et de négocier, avec l'ensemble des créanciers, un plan de paiement étalé sur cinq ans maximum ainsi que d'éventuels abattements d'une partie des créances.Afin d'assurer la sauvegarde du secret professionnel des professions libérales, le futur Livre XX contient certaines mesures spécifiques. Ainsi, si le juge rapporteur de la chambre d'enquête commerciale chargé de l'examen du dossier a l'intention d'effectuer une descente sur les lieux d'un médecin, il devra en avertir au préalable l'Ordre dont il relève.De même, si un médecin sollicite une procédure de réorganisation judiciaire, le greffier du tribunal de commerce en avisera l'Ordre compétent dans les 48 heures. En outre, en cas de procédure de réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice visant un médecin, le tribunal désignera au moins un mandataire de justice (chargé de mettre en oeuvre ce transfert) qui est membre de l'Ordre dont il dépend.Enfin, et de la même manière, si le médecin est déclaré en faillite, le tribunal adjoindra au curateur désigné un co-curateur, inscrit auprès de l'Ordre dont relève le médecin failli (en vue de prendre, par exemple, les mesures appropriées en ce qui concerne le secret professionnel).Le Conseil d'État, dans son avis du 13 février 2017 sur l'avant-projet de loi, a formulé diverses observations sans cependant inviter le législateur à modifier les articles relatifs à l'extension du droit de l'insolvabilité aux titulaires de professions libérales. L'entrée en vigueur du texte, initialement prévue le 1er septembre 2017, a été reportée au 1er janvier 2018.Nul doute que les médecins seront particulièrement attentifs, demain plus qu'hier, à la gestion équilibrée de leur activité, scrutée par le tribunal et les créanciers, au risque, pour certains, d'une faillite en cas d'insolvabilité irréversible. Mieux vaut prévenir que guérir dit l'adage. Au regard de la nouvelle loi, ce proverbe s'applique avec la même pertinence : il est souhaitable que les médecins, entourés de leur comptable et avec l'aide d'un avocat spécialisé en cette matière, prennent la pleine conscience des chiffres relatifs à leur activité. En cas de difficulté, une réaction anticipée et adéquate a toutes les chances de constituer le remède le plus efficace.Raphaël Gevers, Avocat Associé (Cabinet Daldewolf),Maître De Conférences Invité Ucl