Me voilà captif de la confraternité, mais d'autres neurones me titillent. Suis-je vraiment captif ? Je peux parler comme ami, pas comme spécialiste. En effet, lors d'une décision délicate, au-delà des aspects techniques, tous les êtres humains se mettent à douter face aux conséquences possibles de leurs choix, surtout quand elles les touchent directement. De tels moments cruciaux font surgir un questionnement autre que scientifique, basé sur le sens commun, le bon sens, le " gut feeling ", un mixte de boyaux et de circuits cérébraux, d'émotions et d'intuition. Je trouve légitime d'inciter la famille à réfléchir. Loin de s'opposer à l'analyse scientifique, le bon sens la complète, l'oeil fixé sur ses conclusions mais aussi sur un certain flou qui entoure tout langage spécialisé. Ici, je dois lire entre les lignes purement techniques d'un rapport. Les symptômes décrits avec des scores ne disent pas comment la personne vit, de quelles limitations elle souffre, ni de quoi elle est vraiment demanderesse.

La procédure en cause est le remplacement de la valve aortique par voie transcutanée (TAVI). Les avis divergent sur ce qu'il faut faire en cas de sténose aortique serrée asymptomatique. Par contre, un quasi consensus admet la sténose symptomatique sévère comme premier critère. Les mots symptomatique et sévère ouvrent la porte à beaucoup d'interprétations selon que sévère qualifie symptôme ou... sténose. C'est évidemment là que le bon sens intervient. Les guidelines précisent qu'il revient au médecin de tout expliquer au patient et qu'ensuite, ce dernier parfaitement éclairé, décide. Qui est dupe de cette vision idéale ? En pratique, le médecin oriente avec une irréductible subjectivité. En guise de remède, les guidelines prônent la concertation, le " team work ". En Belgique, les cardiologues, les chirurgiens cardiaques et les gériatres doivent tenir une consultation multidisciplinaire et les institutions répondre à des critères légaux attestés dans une convention ad hoc avec l'Inami. Tout cela est bel et bon, mais en définitive n'importe quel malade un peu conscient se demande s'il doit y aller ou pas. D'où le téléphone.

Qu'ai-je finalement dit ? J'ai demandé comment la personne vivait. Réponse déterminante : seule, sans aide, se débrouillant pour tout. Des symptômes, qui n'en a pas à cet âge ? Ils ne sont pas sévères. De plus, en termes d'espérance de vie, elle a déjà gagné la partie. Chaque jour de promenade ou de petit plaisir est pris sur l'ennemi. Toujours pas de détresse prégnante, ni dyspnée, ni angor. Alors, faut-il tenter le diable ?

Il y a déjà tellement à faire avec les vrais symptomatiques sévères d'un grand âge pour lesquels une TAVI devient le seul recours.

La notion de marché captif mérite d'être approfondie. " Marché " : contexte de relations où des intérêts entrent en jeu. " Captif " : doublement, du fait d'y entrer par nécessité et de par l'obligation d'accepter ou non des procédures sans pouvoir tout à fait en anticiper les suites, meilleures ou pires que la situation actuelle. Cette histoire nous force à réfléchir aux moyens de bâtir la confiance entre des demandeurs peu informés mais pas nécessairement naïfs et des spécialistes hyperinformés mais pas nécessairement conscients de jouer " avec la peau des autres ". Bâtir la confiance au coeur du marché, voilà le vrai défi de l'éthique.

Me voilà captif de la confraternité, mais d'autres neurones me titillent. Suis-je vraiment captif ? Je peux parler comme ami, pas comme spécialiste. En effet, lors d'une décision délicate, au-delà des aspects techniques, tous les êtres humains se mettent à douter face aux conséquences possibles de leurs choix, surtout quand elles les touchent directement. De tels moments cruciaux font surgir un questionnement autre que scientifique, basé sur le sens commun, le bon sens, le " gut feeling ", un mixte de boyaux et de circuits cérébraux, d'émotions et d'intuition. Je trouve légitime d'inciter la famille à réfléchir. Loin de s'opposer à l'analyse scientifique, le bon sens la complète, l'oeil fixé sur ses conclusions mais aussi sur un certain flou qui entoure tout langage spécialisé. Ici, je dois lire entre les lignes purement techniques d'un rapport. Les symptômes décrits avec des scores ne disent pas comment la personne vit, de quelles limitations elle souffre, ni de quoi elle est vraiment demanderesse.La procédure en cause est le remplacement de la valve aortique par voie transcutanée (TAVI). Les avis divergent sur ce qu'il faut faire en cas de sténose aortique serrée asymptomatique. Par contre, un quasi consensus admet la sténose symptomatique sévère comme premier critère. Les mots symptomatique et sévère ouvrent la porte à beaucoup d'interprétations selon que sévère qualifie symptôme ou... sténose. C'est évidemment là que le bon sens intervient. Les guidelines précisent qu'il revient au médecin de tout expliquer au patient et qu'ensuite, ce dernier parfaitement éclairé, décide. Qui est dupe de cette vision idéale ? En pratique, le médecin oriente avec une irréductible subjectivité. En guise de remède, les guidelines prônent la concertation, le " team work ". En Belgique, les cardiologues, les chirurgiens cardiaques et les gériatres doivent tenir une consultation multidisciplinaire et les institutions répondre à des critères légaux attestés dans une convention ad hoc avec l'Inami. Tout cela est bel et bon, mais en définitive n'importe quel malade un peu conscient se demande s'il doit y aller ou pas. D'où le téléphone.Qu'ai-je finalement dit ? J'ai demandé comment la personne vivait. Réponse déterminante : seule, sans aide, se débrouillant pour tout. Des symptômes, qui n'en a pas à cet âge ? Ils ne sont pas sévères. De plus, en termes d'espérance de vie, elle a déjà gagné la partie. Chaque jour de promenade ou de petit plaisir est pris sur l'ennemi. Toujours pas de détresse prégnante, ni dyspnée, ni angor. Alors, faut-il tenter le diable ?Il y a déjà tellement à faire avec les vrais symptomatiques sévères d'un grand âge pour lesquels une TAVI devient le seul recours.La notion de marché captif mérite d'être approfondie. " Marché " : contexte de relations où des intérêts entrent en jeu. " Captif " : doublement, du fait d'y entrer par nécessité et de par l'obligation d'accepter ou non des procédures sans pouvoir tout à fait en anticiper les suites, meilleures ou pires que la situation actuelle. Cette histoire nous force à réfléchir aux moyens de bâtir la confiance entre des demandeurs peu informés mais pas nécessairement naïfs et des spécialistes hyperinformés mais pas nécessairement conscients de jouer " avec la peau des autres ". Bâtir la confiance au coeur du marché, voilà le vrai défi de l'éthique.