En octobre, le journal du Médecin annonçait que "sans solidarité, la Grèce ne s'en sortira pas" (voir jdM du 28 octobre 2016). Aujourd'hui qu'Argo 1, l'unité médicale mobile mise sur pied par la Fondation CHU St-Pierre, a rejoint les terres grecques, et plus spécifiquement l'île d'Eubée, deuxième plus grande île du pays, la situation s'est-elle améliorée?

Les conditions restent toujours pour le moins préoccupantes. La crise bat son plein, et les structures sanitaires helléniques se dégradent toujours plus au fil des mois. À Athènes, un magasin sur trois est clos, l'ambiance est moribonde. Le gouvernement d'extrême gauche au pouvoir (Syriza) est contraint à l'exercice d'une austérité extrême imposée par la Troïka, ce tricéphale médiateur de dette mû par la Banque centrale européenne, le Fonds monétaire international et la Commission européenne.

Crédit insuffisant

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Premier jour à Athènes. Le Dr Pleros, qui sera l'interprète tout au long du voyage, est stressé. La délégation belge1 doit rencontrer tour à tour des appuis potentiels à la pérennisation du projet, soit des hommes politiques influents. Le Dr Andreas Xanthos (Syriza), premièrement, ministre grec de la Santé. "Il faut insister sur l'obtention des fonds structurels" , souligne Pascale Peraita , présidente du CHU St-Pierre. "Il faut un ambulancier, un infirmier et un médecin" , ajoute le Pr Degueldre , administrateur-délégué de la Fondation CHU St-Pierre, qui connait déjà le terrain. Deux phrases qui seront répétées ad lib à chaque rencontre politique.

Dans le cas présent, le Dr Pleros nous fait comprendre que pourvoir des postes sera compliqué. Mais à son contentement, le ministre grec de la Santé ouvrira les trois postes demandés. Et ils seront payés. Sans doute pas grand-chose, entre 400 et 800 euros, selon le poste. C'est mieux que rien dans un pays où lorsque l'on a affaire à l'État, ce dernier est fidèle à l'adage : il est mauvais payeur. C'est d'autant plus vrai depuis la crise, comme Theodore -ou Theo - qui a travaillé 15 ans à Athènes, témoigne : "l'État me doit encore plusieurs milliers d'euros pour l'année 2011."

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La visite du cabinet d' Evángelos Apostólou (Syriza), ministre grec du Développement rural, se montrera plus décevante. Qu'a-t-il à voir avec la santé des Grecs ? Rien, si ce n'est qu'il aurait pu faire pression sur le gouvernement, et qu'il a un intérêt politique régional, puisqu'il est originaire de l'île d'Eubée. Mais rapidement, on se rend compte qu'il cherche plus l'image que le geste. Dommage.

Enfin, comment ne pas mentionner le charismatique radiologue Giorgios Patoulis (Nouvelle démocratie), maire de Marousi, président de l'union des municipalités de Grèce, et président de l'Ordre des médecins à Athènes ? C'est sans politique que nous allons à son bureau, car les élections grecques approchent, et que la droite et la gauche, c'est comme chien et chat, et parfois, même la cause la plus noble ne peut les rassembler. Tant pis, la rencontre fut mémorable.

C'est grâce à une patiente du Dr Pleros, en fait secrétaire du Dr Patoulis, que la réunion a pu avoir lieu. "Personne en Grèce ne peut avoir rendez-vous avec lui" , nous explique Theo avant notre confrontation. Sur place, le bureau, ostentatoire, donne le ton. Petits fours et autres gourmandises sont de mise, même si personne n'y touchera, par peur presque de déranger. C'est que le radiologue grec en impose. Quand il entre, il ordonne, salue, et s'assoit devant le portrait du médecin dont il partage le prénom, Georgios Papanicolaou, célèbre pour sa mise au point du Pap test . Il ne reste que quelques secondes, et il s'en va, apparemment fâché sur sa secrétaire parce que le projet lui a échappé en juin dernier. Theo me regarde, et me sourit, visiblement anxieux. "Ce sera autre chose que nos deux précédents rendezvous..." , glisse-t-il.

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C'est vrai que ce radiologue a des allures de bulldozer, et qu'il est difficile à cerner. Néanmoins, il devrait apporter sa pierre à l'édifice. Concrètement, il s'est engagé à élargir le concept d'unités mobiles à d'autres régions grecques, et à fournir le personnel, via un réseau de prestataires de soins bénévoles. Il y a des raisons de croire à son engagement, puisqu'à la fin de la rencontre, le Dr Patoulis nous emmène fièrement au troisième étage de l'Ordre des médecins. Là, depuis le début de la crise, un dispensaire prend en charge quelques 10.000 patients sans couverture sociale.

La situation hors Athènes

Pour les habitants de Dafnoussa, Argo 1 est une aubaine., LZ
Pour les habitants de Dafnoussa, Argo 1 est une aubaine. © LZ

Après ces rencontres politiques, direction l'île d'Eubée, où Argo 1 doit officier. Quelque 2 h 30 de routes montagneuses nous attendent. "Au bout de 300 virages, nous y serons" , sourit Theo. Chiche. On aura le temps de compter en chemin que de l'unique hôpital de Chalcis, capitale de l'île, il y a une heure et demie de route pour Mantoudi. Qu'arrive-t-il en cas d'urgence cardiaque, pédiatrique, gynécologique ou autre ? "Il faut compter sur ses propres moyens pour aller à l'hôpital" , confie Theo. C'est cette situation qu'entend changer Argo 1 : l'unité mobile de soins pourra amener une partie de l'hôpital à la population, sans besoin pour elle de se déplacer.

Un concept encore difficile à comprendre pour les femmes que nous rencontrerons dans le dispensaire de Dafnoussa. Pour elles, il s'agit d'une ambulance. Mais Theo est trop ému pour leur expliquer que cette unité mobile viendra les soigner, et que ce n'est pas "qu'une ambulance" pour les emmener à Chalcis.

Au premier abord, ces dames paraissent en bonne santé, elles sont joviales, en verve. Mais "toutes souffrent de décompensation cardiaque" , remarque immédiatement le Pr Degueldre. "Ce dispensaire, c'est le moyen-âge" , ajoute-t-il, me montrant sur le haut d'une étagère les deux imprimantes poussiéreuses, assurément obsolètes. Qu'à cela ne tienne, on voit dans les yeux de ces femmes que l'action a un sens. Que la solidarité n'est pas vaine, mais, malheureusement, qu'il y a encore du chemin à parcourir.

Parce que le cas de ces femmes illustre les difficultés que les dizaines de milliers d'habitants de la région éprouvent pour accéder aux soins. Un constat que l'on peut d'ailleurs élargir à l'entièreté de la Grèce, puisqu'un tiers de la population n'a plus de couverture sociale. Liège se mobilise d'ailleurs pour venir en aide à la population de Kilkis et Polykastro, dans le nord de l'île, via le projet Argo 2.

L'unité mobile peut donc être un sérieux avantage pour ces laissés-pour-compte de la crise, qui prive les villages de première ligne. En 10 ans, la Grèce a en effet vu un cinquième de ses médecins partir vers l'étranger, (12.000 médecins sont partis, le contingent passant de 73.000 en 2007 à 61.000 en aout 2016)2.

"Prenez soin de vous. Il faut que vous soyez forte pour pouvoir continuer à porter le projet" , dira en guise d'au revoir l'une des femmes à la présidente du CHU St-Pierre. Tout est dit.

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Références:

1. La délégation belge était composée de Faouzia Hariche (PS), présidente de la faîtière des hôpitaux publics bruxellois (Iris), de Pascale Peraita (PS), présidente du CHU St-Pierre et de la Fondation CHU St-Pierre, du Pr Michel Degueldre, administrateur-délégué de la Fondation, et du Dr Théodore Pleros, généraliste tour à tour à Lille, Athènes et désormais Bruxelles.

2. www.kathimerini.gr/825077/article/epikairothta/ygeia/h-megalhfygh-twn-giatrwn

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Pope Art

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À Mantoudi, la délégation belge reçoit un accueil chaleureux du maire, personnalité attachante et sensible. Dans la salle comble du village, chacun reçoit ses louanges pour cette solidarité presque " charnelle" qui unit désormais la Belgique et la Grèce. Anecdote cocasse, mais qui témoigne de l'importance du projet dans la région : la cérémonie finie, l'ambulance fut bénie par deux popes, moyennant force chants.

Les deux personnages ont ensuite fait le tour du véhicule, brandissant le basilic fraîchement coupé et aspergeant l'ambulance d'eau bénite jusqu'au moteur, sans oublier de placer une icône sur le tableau de bord.

En octobre, le journal du Médecin annonçait que "sans solidarité, la Grèce ne s'en sortira pas" (voir jdM du 28 octobre 2016). Aujourd'hui qu'Argo 1, l'unité médicale mobile mise sur pied par la Fondation CHU St-Pierre, a rejoint les terres grecques, et plus spécifiquement l'île d'Eubée, deuxième plus grande île du pays, la situation s'est-elle améliorée?Les conditions restent toujours pour le moins préoccupantes. La crise bat son plein, et les structures sanitaires helléniques se dégradent toujours plus au fil des mois. À Athènes, un magasin sur trois est clos, l'ambiance est moribonde. Le gouvernement d'extrême gauche au pouvoir (Syriza) est contraint à l'exercice d'une austérité extrême imposée par la Troïka, ce tricéphale médiateur de dette mû par la Banque centrale européenne, le Fonds monétaire international et la Commission européenne.Premier jour à Athènes. Le Dr Pleros, qui sera l'interprète tout au long du voyage, est stressé. La délégation belge1 doit rencontrer tour à tour des appuis potentiels à la pérennisation du projet, soit des hommes politiques influents. Le Dr Andreas Xanthos (Syriza), premièrement, ministre grec de la Santé. "Il faut insister sur l'obtention des fonds structurels" , souligne Pascale Peraita , présidente du CHU St-Pierre. "Il faut un ambulancier, un infirmier et un médecin" , ajoute le Pr Degueldre , administrateur-délégué de la Fondation CHU St-Pierre, qui connait déjà le terrain. Deux phrases qui seront répétées ad lib à chaque rencontre politique.Dans le cas présent, le Dr Pleros nous fait comprendre que pourvoir des postes sera compliqué. Mais à son contentement, le ministre grec de la Santé ouvrira les trois postes demandés. Et ils seront payés. Sans doute pas grand-chose, entre 400 et 800 euros, selon le poste. C'est mieux que rien dans un pays où lorsque l'on a affaire à l'État, ce dernier est fidèle à l'adage : il est mauvais payeur. C'est d'autant plus vrai depuis la crise, comme Theodore -ou Theo - qui a travaillé 15 ans à Athènes, témoigne : "l'État me doit encore plusieurs milliers d'euros pour l'année 2011."La visite du cabinet d' Evángelos Apostólou (Syriza), ministre grec du Développement rural, se montrera plus décevante. Qu'a-t-il à voir avec la santé des Grecs ? Rien, si ce n'est qu'il aurait pu faire pression sur le gouvernement, et qu'il a un intérêt politique régional, puisqu'il est originaire de l'île d'Eubée. Mais rapidement, on se rend compte qu'il cherche plus l'image que le geste. Dommage.Enfin, comment ne pas mentionner le charismatique radiologue Giorgios Patoulis (Nouvelle démocratie), maire de Marousi, président de l'union des municipalités de Grèce, et président de l'Ordre des médecins à Athènes ? C'est sans politique que nous allons à son bureau, car les élections grecques approchent, et que la droite et la gauche, c'est comme chien et chat, et parfois, même la cause la plus noble ne peut les rassembler. Tant pis, la rencontre fut mémorable.C'est grâce à une patiente du Dr Pleros, en fait secrétaire du Dr Patoulis, que la réunion a pu avoir lieu. "Personne en Grèce ne peut avoir rendez-vous avec lui" , nous explique Theo avant notre confrontation. Sur place, le bureau, ostentatoire, donne le ton. Petits fours et autres gourmandises sont de mise, même si personne n'y touchera, par peur presque de déranger. C'est que le radiologue grec en impose. Quand il entre, il ordonne, salue, et s'assoit devant le portrait du médecin dont il partage le prénom, Georgios Papanicolaou, célèbre pour sa mise au point du Pap test . Il ne reste que quelques secondes, et il s'en va, apparemment fâché sur sa secrétaire parce que le projet lui a échappé en juin dernier. Theo me regarde, et me sourit, visiblement anxieux. "Ce sera autre chose que nos deux précédents rendezvous..." , glisse-t-il.C'est vrai que ce radiologue a des allures de bulldozer, et qu'il est difficile à cerner. Néanmoins, il devrait apporter sa pierre à l'édifice. Concrètement, il s'est engagé à élargir le concept d'unités mobiles à d'autres régions grecques, et à fournir le personnel, via un réseau de prestataires de soins bénévoles. Il y a des raisons de croire à son engagement, puisqu'à la fin de la rencontre, le Dr Patoulis nous emmène fièrement au troisième étage de l'Ordre des médecins. Là, depuis le début de la crise, un dispensaire prend en charge quelques 10.000 patients sans couverture sociale.Après ces rencontres politiques, direction l'île d'Eubée, où Argo 1 doit officier. Quelque 2 h 30 de routes montagneuses nous attendent. "Au bout de 300 virages, nous y serons" , sourit Theo. Chiche. On aura le temps de compter en chemin que de l'unique hôpital de Chalcis, capitale de l'île, il y a une heure et demie de route pour Mantoudi. Qu'arrive-t-il en cas d'urgence cardiaque, pédiatrique, gynécologique ou autre ? "Il faut compter sur ses propres moyens pour aller à l'hôpital" , confie Theo. C'est cette situation qu'entend changer Argo 1 : l'unité mobile de soins pourra amener une partie de l'hôpital à la population, sans besoin pour elle de se déplacer.Un concept encore difficile à comprendre pour les femmes que nous rencontrerons dans le dispensaire de Dafnoussa. Pour elles, il s'agit d'une ambulance. Mais Theo est trop ému pour leur expliquer que cette unité mobile viendra les soigner, et que ce n'est pas "qu'une ambulance" pour les emmener à Chalcis.Au premier abord, ces dames paraissent en bonne santé, elles sont joviales, en verve. Mais "toutes souffrent de décompensation cardiaque" , remarque immédiatement le Pr Degueldre. "Ce dispensaire, c'est le moyen-âge" , ajoute-t-il, me montrant sur le haut d'une étagère les deux imprimantes poussiéreuses, assurément obsolètes. Qu'à cela ne tienne, on voit dans les yeux de ces femmes que l'action a un sens. Que la solidarité n'est pas vaine, mais, malheureusement, qu'il y a encore du chemin à parcourir.Parce que le cas de ces femmes illustre les difficultés que les dizaines de milliers d'habitants de la région éprouvent pour accéder aux soins. Un constat que l'on peut d'ailleurs élargir à l'entièreté de la Grèce, puisqu'un tiers de la population n'a plus de couverture sociale. Liège se mobilise d'ailleurs pour venir en aide à la population de Kilkis et Polykastro, dans le nord de l'île, via le projet Argo 2.L'unité mobile peut donc être un sérieux avantage pour ces laissés-pour-compte de la crise, qui prive les villages de première ligne. En 10 ans, la Grèce a en effet vu un cinquième de ses médecins partir vers l'étranger, (12.000 médecins sont partis, le contingent passant de 73.000 en 2007 à 61.000 en aout 2016)2."Prenez soin de vous. Il faut que vous soyez forte pour pouvoir continuer à porter le projet" , dira en guise d'au revoir l'une des femmes à la présidente du CHU St-Pierre. Tout est dit.