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Si le cancer chamboule la vie des patients ainsi que de leur entourage du fait de la maladie, de ses traitements et des craintes qu'elle inspire même à long terme, il peut aussi mettre à mal un retour à la vie " normale ". Cette vie "normale" passe notamment par le droit à reprendre ou changer de travail, ou de s'installer en famille dans son chez-soi. Oui, mais voilà : le patient qui a été atteint d'un cancer reste, pour de nombreuses institutions ou entreprises, un malade. Voire un mort en sursis, pour le dire crûment... Pour permettre à ceux qui le peuvent de reprendre le cours de leur vie d'avant-cancer, il est dès lors essentiel d'estimer le risque de la manière la plus fiable.Le Pr Éric Raymond, du Centre hospitalier Paris Saint-Joseph, a souligné cette difficulté d'estimer correctement ce risque, qui varie selon la localisation du cancer et son type, son grade, les traitements et leurs effets secondaires, la mobilité encore possible, les complications éventuelles... Il en appelle donc à développer un modèle mathématique basé sur des données facilement accessibles pour donner une estimation plus individualisée. Cette évaluation plus précise serait utile aux assurances pour évaluer le risque plus réaliste du patient ou sa capacité à reprendre son travail. " Mais elle doit être réévaluée constamment. Car aujourd'hui, les études actuelles de survie portent sur des patients qui ont reçu des traitements il y a 5 ou 10 ans. Or, ceux-ci sont en constante évolution et on ne peut pas établir un pronostic sur des données qui ne relèvent pas de la réalité des patients actuels... ", précise-t-il.Il faudrait également prendre en compte ce qu'il appelle la survie conditionnelle qu'il oppose à la survie globale : " Plus le temps passe après son diagnostic, plus ses chances de survie à 5 ans s'améliorent. " Il faudrait donc en tenir compte lorsque les assurances, par exemple, s'interrogent sur la capacité d'un assuré à rembourser sa prime...Pour limiter la double peine qui frappe les personnes atteintes de cancer, à savoir la maladie elle-même mais ensuite la difficulté à obtenir les mêmes droits que quiconque, la Belgique et la France ont adopté deux systèmes bien différents. Ces deux pays tentent d'améliorer les chances de pouvoir acquérir un bien immobilier et de contracter une assurance. " Les primes d'assurance, qu'elles soient médicales ou de solde restant dû, est établie en fonction du risque de l'emprunteur, et donc de son état de santé", rappelle Marie Mesnil, de l'Université de Rennes. "En cas de cancer, le risque de surprime, de refus d'assurer, voire d'exclusion est très important. Or, l'assuré est obligé de répondre sincèrement à un questionnaire médical. S'il ment ou s'il ne dit pas toute la vérité, il risque la nullité du contrat, et n'aura plus droit d'être couvert. Il n'a donc d'autre choix que de s'exposer à ne pas être accepté, ou à payer très cher sa couverture... "Pour réduire ce risque, la France a adopté une loi collective, alors que la Belgique se base sur une approche individuelle. Notre voisin du sud a adopté une loi appelée communément " Droit à l'oubli ", comme l'explique Marie Mesnil. " Les patients de plus de 18 ans qui ont eu un cancer ne doivent plus le mentionner dans leur questionnaire médical dix ans après la fin des traitements actifs. Ce délai est porté à 5 ans pour les jeunes qui ont eu un cancer avant 18 ans. Dans les cas de cancers spécifiques - comme par exemple un cancer du sein in situ - la déclaration sera faite dans le questionnaire, mais ne pourra pas être prise en compte pour fixer le montant de la prime un an après la fin du traitement ! "La Belgique a opté pour un autre système, moins radical, édicté par la loi Partyka qui protège contre le paiement de surprimes exagérées demandées par les assurances. Le Bureau de suivi de la tarification peut ainsi être saisi par l'assuré si elle atteint au moins 75 % de la prime normale (donc le montant total demandé équivaut à 175 % de la prime normale). Ce Bureau demandera alors une justification à l'assureur, et peut alors lui faire une contre-proposition, qui peut être refusée... Si la surprime est de 125 % ou plus, la différence sera alors prise en charge par la Caisse de Compensation, elle-même financée par les banques et assurances (avec un maximum de... 925 % d'excédent ! ).On le voit, le système français est plus radical, plus juste puisqu'il s'agit de la même règle pour tout le monde, et ne réserve aucune surprise. Le patient n'a aucune démarche à réaliser, contrairement à l'assuré belge qui doit introduire un recours (quand il est au courant de ses droits ! ).Les intervenants à cette réunion de l'EORTC ont d'ailleurs plaidé pour une législation européenne, afin de réduire les disparités de traitement dans les États membres, mais aussi de lutter contre les inégalités qui touchent des personnes qui ont été touchées par le cancer.Un autre aspect légal qui a été abordé est le retour au travail. On sait que la ministre de la Santé encourage le retour progressif des personnes atteintes de maladies de longue durée, dont le cancer. Les soignants sont donc impliqués dans cette question, pourtant elle est peu abordée par les médecins.L'Institut de Santé publique a dès lors mené une enquête sur environ 200 personnes pour voir comment les prestataires de soins en hôpital peuvent aider les patients en termes de retour au travail. Peuvent-ils les conseiller ? Les aiguiller vers des solutions possibles pour reprendre progressivement, adapter leur travail, se réorienter ? Les conclusions sont en cours de rédaction, mais Régine Kiasuwa Mbengi, du Centre du Cancer de l'ISP, en dresse les grandes lignes : " Il est à noter que les patients acceptent que les soignants jouent ce rôle, à condition de ne partager aucune information avec leur employeur. Nous avons vu aussi que le retour au travail n'est pas problématique pour tous les patients: il s'agit donc pour les soignants d'identifier ceux qui nécessitent un tel soutien. On s'en doute, cette discussion ne doit pas être menée trop rapidement : dans les 6 mois qui suivent l'arrêt des traitements, les patients sont évidemment plus centrés sur leur état de santé et leur pronostic... Le retour au travail dépendra de ceux-ci mais aussi des relations avec leur environnement de travail. Côté professionnels de la santé, il est aussi difficile de déterminer qui est le plus à même de mener cette discussion. Les médecins ne se sentent d'ailleurs généralement pas les plus aptes à le faire, et se sentent plus investis d'assurer un bon suivi médical pour un retour à la vie normale. Or, celle-ci passe aussi par une qualité de vie et un retour au travail... "Lors de la publication des résultats de ce travail, nul doute que nous aurons l'occasion de les répercuter.